Le destin de trois femmes se joue dans les montagnes : celui d’Astrid, mère en deuil, de Soraya, migrante syrienne et de Stella, le bébé rejeté par sa mère
La poésie comme viatique
« Nous savons que la beauté tapit dans l’ombre ». Cette phrase tirée d’un manifeste poétique de Gabriel Dufay, Sauver la beauté, pourrait apparaître parmi les multiples citations poétiques parcourant le roman de Marie Pavlenko. Ces « fulgurances » qui « tendent un miroir à nos désespoirs » sont un viatique qui nourrit les personnages sur leur chemin de résilience : Astrid, femme de 40 ans déchirée par un deuil insoutenable ; Soraya, syrienne de 17 ans qui a réussi à franchir des montagnes d’horreur et de neige. Elle a atteint la France dans le hameau isolé du Mercantour où Astrid a acheté une maison et Soraya y donne la vie à une petite fille issue d’un viol subi en Albanie. C’est Astrid qui retrouve ses gestes de mère et l’énergie nécessaire pour nourrir, jour et nuit, la « petite grenouille », la soigner et l’endormir contre son cœur. Ressource inépuisable, Ida, une voisine, céramiste de 60 Ans, veille. Elle aide Astrid à rendre sa maison habitable, initie Soraya à la poterie et la met en relation avec un groupe d’aide aux migrants …
Astrid et Soraya : une commune force de vie face au malheur
Marie Pavlenko n’enjolive pas la très dure réalité auxquelles Astrid et Soraya se sont affrontées et qui les hantent. Le lecteur n’échappe pas à leur récit. Au-delà des nationalités, des modes d’existence et des générations qui les séparent, les deux femmes ont en commun une force de vie, un courage et un refus de s’enfoncer dans le malheur et l’amertume qui leur permettent de créer un lien, de construire peu à peu une relation bilatérale, protectrice, créatrice de possibilités d’avenir. Là encore, pas de miracles ! Mais au-delà du mortel coup de feu final… la vie peut renaître en écho à la citation de Claude Roy placée en exergue du dernier chapitre du roman
« Ne méprisez jamais les dons que font les morts
Ils n’ont pas autre chose
Le choix n’est pas si grand quand on est loin du port et jamais ne repose ».
S’ouvrir à la beauté
La couverture rayonne de splendeur colorée.
Rarement une création graphique aura si justement saisi le lecteur sur les tables des libraires pour le conduire, en silence, vers ce roman, par instants enfoui au cœur des montagnes et à d’autres enjambant leurs sommets. Elles déploient leur splendeur sous la neige ou dans le soleil, elles peuvent se montrer aussi impitoyables que la police veillant sur la frontière qui les traversent. L’être humain n’est qu’une minuscule figure dans l’immensité vers laquelle le conduit son destin, et le fleuve de noirceur qui a failli l’engloutir s’amenuise au fur et à mesure que monte la lumière éclairant « le pays secret ».
Suivre le vol des hirondelles jusqu’au Grand Blanc Éternel
Lorsqu’on l’interroge sur l’origine de son livre, Marie Pavlenko fait référence à sa passion d’ornithologue amateur. Elle l’a conduite dans le Mercantour, pour observer des rapaces. C’est par cette zone à la beauté sauvage, entre France et Italie, que sont passés les premiers loups revenus s’installer en France à l’époque contemporaine et que traversent désormais bien des migrants, traqués à leur tour, mais aussi soutenus par des hommes et des femmes courageux qui partagent la colère de Marie Pavlenko, contre la condition faite à ces immigrés clandestins. Dans un hameau à 1900 mètres d’altitude, hors du monde et du temps, Marie Pavlenko a ainsi vu apparaitre Astrid, la parisienne en deuil. Puis Soraya, la migrante, et la caIme Ida, la créatrice, la sachante, la sage… Entre elles, les dialogues sont vifs, toujours empreints de justesse et de sincérité. Max rejoint le groupe pour faciliter la circulation entre les langues (l’arabe que parle Soraya et le français qu’elle apprend). Cet homme à l’écart des clichés virilistes parvient à apprivoiser la jeune syrienne, à lui rendre son rire salvateur, le plaisir de danser, et la patience d’observer le vol des hirondelles juste avant le saut dans le Grand Blanc Éternel où Max ne lâche pas sa main. Astrid, elle, tient bien serrée celle de Stella sur son chemin d’avenir.
Références
- Marie Pavlenko, Traverser les montagnes, et venir naître ici, Les Escales, 350 p., 2024.
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