Architecte de constructions littéraires inventif, Daniel Mason renouvelle le « nature writing » initié par le Walden de Thoreau. Comme Richard Powers, auteur du désormais mythique L’Arbre-monde, Daniel Mason affirme dans Seule restait la forêt le pouvoir du récit à agréger science et imaginaire, à placer l’humain au cœur du vivant et à conjuguer mémoire, changement et urgence face à l’indifférence.
Construire la maison jaune
Construire la maison jaune
Au cœur des montagnes de l’ouest du Massachusetts, un couple rebelle aux lois puritaines de leur village trouve refuge au milieu des bois de North Woods. Dans cette clairière, le jeune homme dépose une large pierre plate, la première de leur cabane, esquisse de la future maison aux murs jaunes (quatre toits, dix cheminées, dix-huit pièces).
Le décor originaire est ainsi planté au temps de la Colonie fondée par les Anglais sur la côte de l’Est américain dans la dernière décennie du XVII° siècle.
Habiter au cœur de la forêt
Quatre siècles et 500 pages plus tard, la maison a survécu à une succession de périodes d’Éden et de violentes tragédies. Elle a été reconstruite après des incendies ou des orages de neige, au fil de rebondissements et d’épisodes hantés par les cerfs et le lion des montagnes, les pommiers sauvages devenus verger, les châtaigniers et les ormes menacés par les insectes tueurs. Ils cohabitent avec les hommes et les femmes atypiques qui ont fait de ce lieu leur refuge. Leurs comportements ne sont pas appropriés à la société des villes naissantes et bientôt tentaculaires, régies par la productivité et la finance, mais à l’immersion dans cette nature parfois idyllique et à la survie dans l’univers souvent violent des forêts. Ils sont en quête de sublime, de relations hors du commun, au-delà des conventions, avec leurs semblables humains, mais aussi avec tout ce qui compose l’environnement de cette maison, seul trait d’union entre les protagonistes de ce récit.
Face au lion de montagne
Un magnifique puma trône sur la couverture de « Seule restait la forêt ».
Ce nom de « puma », désignant un lion de montagne, vient du terme quechua qui signifie « puissant ». Il intervient à plusieurs reprises dans le livre… laissant des traces terribles de sa passion dévoratrice pour les troupeaux et… les êtres humains…
Cette peinture aurait pu être peinte par W.H.T., William Henry Teale. Il a acquis la maison jaune pour en faire son Arcadie qu’il rêve de partager avec Erasmus Nash, l’écrivain dont il a illustré « Les pérégrinations sur le Vieux continent »…. Mais il s’agit d’un roman, et ces personnages de fiction, ces « fantômes », n’ont laissé de traces que dans l’imaginaire…
Douze récits ponctués de photographies et de chansons
Les extrêmes se succèdent : les comportements héroïques, les meurtres, les exhumations de cadavres, les passions amoureuses, les dérèglements psychiques, mais aussi la découverte d’une race nouvelle de pommes, la « merveille d’Osgood », l’accumulation de peintures crées par un artiste renommé ou de chansons écrites par un couple de sœurs jumelles. Ces chansons aux titres imagés et évocateurs (« la triste histoire de la chouette et de l’écureuil ; ou comment la terre se reboisa, une nouvelle ballade d’hiver ») ponctuent les douze chapitres, les douze histoires des douze occupants qui se succèdent dans la maison.
Retours en arrière, découvertes d’archives, manifestations de fantômes : la magie du sens du récit de l’auteur, Daniel Mason, se déploie à travers l’établissement de liens (comme l’infime détail d’un bouton de chemise) entre les différentes périodes de l’histoire américaine et du destin personnel des personnages qu’il fait parcourir au lecteur. Il multiplie les innovations formelles. Il inclut des photographies noir et blanc dans le corps du texte. Il varie les genres littéraires : confession autobiographique au « je », échange de correspondances, notes prises par un chercheur reconstituant un élément d’une histoire demeuré mystérieux, récit mené vivement et avec humour par un narrateur extérieur au récit. Il redonne aussi ses lettres de noblesse littéraires à « l’observation médicale » que les praticiens rédigeaient autrefois avec un grand soin d’écriture. Celle qui se déploie dans tout un chapitre du livre décrit l’histoire, les symptômes et les traitements préconisés pour Robert S., un patient schizophrène que seuls apaisent de longues marches dans la forêt de North Woods.
Puis tout recommence…
Au final, une femme seule observe les conséquences des catastrophes climatiques qui finissent par atteindre la maison : « Elle se trouve dans la forêt quand l’incendie atteint la maison jaune ou ce qui en reste, l’amas de bois et de pierre sous les fougères et les eupatoires rugueuses de juin. Elle dévale le sentier pour regarder les flammes engloutir le bâtiment. Il n’y a pas d’hésitation. Elle est habituée à l’indifférence – c’est ce qu’on pourrait appeler la grande leçon du monde -, pourtant elle s’attend encore à une pause, une forme de reconnaissance, d’hommage. Mais l’incendie ne s’arrête pas. En deux heures, la maison a disparu. L’espace d’un instant, le calme plane sur les décombres, puis tout recommence. »
Références
- Daniel Mason, Seule restait la forêt, trad. par Claire-Marie Clévy, Buchet-Chastel, 512 p., 2024.
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