Belin-Figure-Sable|Aliette Armel

« Ce n’est pas un livre sur l’enfance, affirme Bertrand Belin, mais un livre sur moi, au présent », face à ce qui revient – images, sensations, mots – de manière cyclique, surgi du terreau de l’enfance, qui fait encore trembler l’âge dit adulte et jaillir le sang parfois, alors que passe la mère, vite, trop vite dans la cour de l’immeuble, à l’heure des commissions, sentant peser sur elle le regard du chef de famille ressassant sa rage destructrice qui met son  entourage à la merci des forces du mal.

L’invention de la Figure

La Figure ? « Sans elle, il n’y aurait pas eu de dissidence envisageable. Je n’aurais pas tenu le coup sans elle »…  «Sans elle, il n’y aurait pas eu de bonté, de beauté, ni le contraire d’ailleurs. Juste la vie dans le mal ». Au fil des entretiens qu’il donne généreusement à l’occasion de la sortie de son cinquième livre, La Figure, dans les médias, les librairies ou à la maison de la Poésie, Bertrand Belin ne cesse de manifester à quel point cette émanation de la conscience, ce double intérieur qui l’habite depuis sa petite enfance lui a permis de survivre puis de revivre. Il ne s’agit pas seulement d’un dispositif littéraire, même si la fiction que la Figure matérialise permet aussi la mise à distance et l’humour, écarte le pathos, libère la possibilité du récit et son accueil par le lecteur.
La Figure, c’est la compagne, l’interlocutrice, le mentor d’un enfant qui, à 3 ans, aurait fait le choix de ne pas monter dans l’appartement que ses parents viennent d’obtenir dans un immeuble neuf d’une cité maritime. La famille de sept personnes a passé plusieurs mois dans une tente au milieu d’un champ, après l’incendie de leur maison à la campagne. Personne ne s’oppose à la décision de l’enfant qui, pendant 15 ans, ne pénètre qu’une seule fois dans l’appartement « Pour prendre un pull. C’était en apnée, en été ». Et il retourne très vite, le coeur battant, sous le laurier, à proximité du tourniquet et des marches, ou dans le trou noir où il a tiré son matelas. Avec la Figure, qui après son départ à Paris, assurera la permanence, en ce lieu.
Il s’agit d’un conte, à la mode de ceux qui habitent l’imaginaire de la Bretagne où Bertrand Belin est né, près d’Auray. Dans la vraie vie, aucun enfant ne peut vivre en bas de l’immeuble dans l’indifférence familiale. Mais la Figure, elle, est bien réelle, cette voix intérieure à laquelle Bertrand Belin a déjà consacrée une chanson, en 2022.

La Figure et moi, chanson de Bertrand Belin

Du matin au soir
La figure est là
Elle et moi au sabre
Nous fendons le brouillard
La figure est là
Du matin jusqu’au soir
Et la nuit aussi
Elle est ici
Nous épousons ce val obscur
Comme une seule chose
Une épissure
La nuit aussi
La figure est ici
Quand je fume
Nous sommes deux amis
À qui sourit la vie
C’est un agrégat
Qui n’est pas nouveau
Nous nous sommes connus au berceau
Au landau
Nous sommes montés en neige
Je suis le fardeau que la figure allège
Deux amis
À qui sourit la vie
Nous sommes deux amis
Deux amis
À qui sourit la vie
À qui sourit la vie
La vie

5-romans-janvier-2025-Bertrand-Belin-figure | Aliette Armel

Des images qui tranchent, des mots qui jaillissent comme des flèches

La narration avance par cercles concentriques ou plutôt, s’agissant d’un écrivain venu de la chanson, par couplets et refrains. Les obsessions ne cessent de revenir – oie cou coupé, mère avançant en ligne droite pour courir au bourg, une petite artère battant juste au-dessous de son œil, poires chapardées occasionnant deux gifles dont persiste la douleur, mort du chef de famille annoncée et attente de son corps emporté qui devrait permettre le retour du « temps des anciens commencements. Des commencements recommencés ».

L’écriture est âpre, énergique, souvent sans verbes, issue de l’oralité dont elle préserve le jaillissement. Avec une force d’authenticité qui transparaît à travers la fiction du conte, elle rejoint les injonctions de Wadji Mouawad de n’écrire que pour rejoindre « l’ombre en soi qui écrit ». L’homme de théâtre manie feu et sang dans son cours au Collège de France au nom du « Vrai qui échappe à la brutalité du réel », car « Tout comme la chaleur voyage au coeur du malade, la douleur voyage au coeur de l’homme ».

Affirmations, interrogations, accumulations, entrecoupées de cris mais aussi « d’immenses éclats de rire dans le granit », Bertrand Belin laisse échapper un aveu parfois, comme celui-ci : « J’ai cru pouvoir susciter l’amour. Renverser les forces du mal à moi tout seul ».

« Je suis pour toujours mécontent. Et stupéfait de me trouver chanceux de vivre. C’est ainsi. »

« Chicanes et grandes lignes droites, vases clos, pentes, culs-de-sac. Une fois encore, je le dis, c’est le seul chemin. C’est comme une chute. Un couvreur donc, un pull, un chat, et on verra très vite qu’il y aura des poires et encore d’autres merveilles. Inventaire pour le moment obscur, il contient pourtant quelques-uns des éléments cardinaux, rouages sans lesquels il n’y aura pas d’âme dans la machine, aucune apothéose, rien. Aussi, accrochons-nous. »

Et lisons !

Références

  • Bertrand Belin, La Figure, P.O.L., 176 p., 2025.
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