17 novembre 2023

De l’effondrement au point de bascule

par Marie-Jeanne

Une lettre de licenciement. Le temps s’arrête pour qui la reçoit. À moins que ce ne soit un appel à renouer avec la curiosité et la joie de l’instant ?

Le texte de Marie-Jeanne

La fuite en avant, le temps qui échappe, le temps qui court jusqu’à l’épuisement, le chaos, la déraison. Il suffit d’un courrier en apparence anodin trouvé dans la boite à lettres et ouvert avec empressement. Il indique une convocation à un entretien préalable à un licenciement. Le temps s’arrête : 56 ans, 30 ans « de bons et loyaux services » sans qu’aucun reproche ni caillou ne se soient glissés dans la chaussure.

Plonger au cœur des relations, être contraint voire convoqué à regarder son entourage, celui d’hier, d’aujourd’hui, de demain, sans saisir l’absurdité du moment. Une onde choc, une violente déflagration intime se propage, déstabilise le cours du temps. L’extravagance de cette annonce conduit à un tumulte intérieur incommensurable, une impasse, un écueil, une perte de sens. Et puis le temps s’affole, se précipite, moment de dé-réalité, tel un dépôt d’alluvions, de sédiments argileux, ça glisse.

Dans ce tourbillon de la vie, divine comédie, satanée tragédie s’égrènent de manière insidieuse, un sentiment d’impuissance, de colère, de révolte, d’abattement, d’effroi. Tout s’effondre. Cette quête inlassable du travail bien fait, d’un engagement éthique sans faille, cette volonté d’explorer l’altérité, l’un et le multiple, sont bafoués.

Toutes ces années de folles et enivrantes découvertes anéanties, réduites à une construction éphémère de l’instant à jamais estompé qui trahit le sentiment de se connaitre, de s’ignorer. Cette lettre, témoin du passé affichant toutes les velléités de grands hommes, assoiffés de pouvoir et mus par l’ambition, de dominer ? Asservir l’autre, le réduire à néant, peut être une revanche illusoire sur leur destinée barrée par des événements de vie limitant leur soif de réussite. L’expression d’une faille identitaire déshumanisée ?

Alors quelles forces trouver en soi pour s’extirper de cette impasse ? Comment renouer avec l’enfant intérieur fait d’insouciance ? Comment sortir de ces méandres, boucles récursives du passé qui sèment le doute sur son être ? Se remettre en route, se faire confiance, renouer avec le temps présent, au-delà d’un compte à rebours événementiel, continuer pas à pas à cheminer, à explorer le monde.

Après tous ces aléas de la vie, vient le temps de se déprendre, de se ressaisir, de rebondir, d’élargir son horizon, de sortir des carcans de la pensée empirique, par défaut cartésienne. Rompre avec ces vicissitudes de la vie pour se recréer, se métamorphoser et grandir.

Et si le temps n’était que la succession d’évènements nous transportant dans le labyrinthe de nos énigmes ? Quel est le sens de la temporalité de notre propre existence ? Des moments de certitudes contrariés par des surgissements imprévisibles, inattendus, faits de contretemps ?

S’ouvrir autrement, élargir son champ de vision et trouver dans le moment présent l’ultime bonne amitié avec soi-même, mémoire du temps de soi avec l’autre, les autres et oser son dépassement. Cette parenthèse au fil du temps aura favorisé l’ouverture sur d’autres horizons, en renouant avec un attachement indéfectible à la curiosité. La persévérance plutôt que l’acharnement, une révolution à entreprendre, à cultiver.

Ainsi apprendre au fil du temps à renforcer un sentiment de sécurité intérieure à partir du plus profond de son être et grandir en détachement pour plus de liberté, le Graal. Au cœur de la complexité des êtres humains sommeillent des ressources insoupçonnées. Savoir enfin saisir le « kairos » ou le moment opportun est un point de bascule décisif. Il y a un avant et un après ce moment clef qui s’ouvre sur d’autres perspectives.

Vivre le temps, c’est explorer l’indicible et retrouver la joie du vivant créatif.

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