16 juin 2023

Un afghan au Père Lachaise

par Catherine L.

Laissez-vous surprendre par le destin de Mahmud, jeune exilé afghan qui découvre l’amitié, l’espérance, la lecture et l’écriture dans les allées du Père-Lachaise.

Le texte de Catherine

Kevin avait fait la connaissance de Mahmud, un jeune réfugié Afghan, au café du Purgatoire. Entre eux ce fut immédiatement un coup de foudre amical. Mahmud faisait la manche mais la mendicité n’était pas son univers. Lorsqu’il tendait la main, son attitude et son regard clair et direct tranchaient avec son geste. Kevin était le jardinier en chef du cimetière du père Lachaise. Mais ce géant roux et barbu cultivait et jardinait aussi à ses heures perdues les âmes de ses contemporains. Il invita Mahmud à l’accompagner sur son lieu de travail. Ils avaient juste à traverser l’avenue pour entrer au paradis, par une toute petite porte. C’est ainsi que Kevin surnommait ce lieu chargé d’histoire, dans ce vaste îlot de verdure, à l’ombre des grands arbres et des marronniers centenaires. Kevin fit faire à Mahmud un tour complet du site en lui indiquant les tombes célèbres, les constructions baroques, lui faisant admirer les sculptures, les statues et les boîtes enchâssées dans les murs du columbarium, véritables bibliothèques des morts. Mahmud tomba en arrêt devant le buste de Balzac. Un premier choc esthétique. Une femme était courbée sur une tombe voisine occupée à la nettoyer et à la fleurir.

– Mahmud, je te présente mon amie, ma vieille amie, Espérance. Depuis sa retraite, elle passe le plus clair de son temps ici parmi les morts. Elle parle peu, s’occupe et nourrit les chats errants, converse avec les oiseaux. Les moineaux surtout viennent se poser sur ses poignets ou sur le bout de ses doigts. Elle trimbale toujours avec elle l’attirail de la parfaite ménagère : pelle, balayette, chiffons… Toute la journée, tu la verras nettoyer, changer l’eau des fleurs, disposer de petites offrandes, caresser les statues ou polir les marbres. Personne ne lui demande rien ni ne la rémunère pour cela. Elle considère que c’est sa mission sur terre. Tout le personnel du cimetière ferme les yeux et la laisse passer la nuit parmi les tombes. Elle veillera aussi sur toi.

Kevin s’approcha d’une chapelle, une construction à colonnades, il ouvrit la porte en fer rouillée.

– Mahmud, si tu veux, tu peux coucher là en attendant de trouver mieux, tu seras au calme et je reviendrai te voir.

En effet l’espace était suffisamment grand et, roulé en boule, ce pouvait être une chambre convenable. Certes les murs sentaient le salpêtre et l’humidité, mais il avait connu bien pire lors de son dangereux périple vers la civilisation. Kevin lui souhaita bonne chance. Le jeune homme disposait d’un équipement très sommaire. Tout son trésor, c’était son portable qu’il tenait bien serré dans la poche de son pantalon. Il lui permettait de communiquer et de déchiffrer les messages grâce à son application de traduction. Sa vie tenait à ce petit cadran lumineux. Il s’installa, déplia son duvet et bloqua la porte avec son sac à dos.

Les premières nuits pourtant ne furent pas de tout repos. Sans doute trop de calme, il n’y était plus habitué. Des cauchemars l’assaillaient, impression que les fantômes qui tournoyaient au-dessus de sa tête se préparaient à l’entraîner dans l’au-delà. IL tenta de se distraire en révisant ses exercices de français dans son cahier. Mais en vain. Il prit l’habitude de déambuler la nuit dans les allées désertes, il se perdait souvent. Les cris rauques des corbeaux lui donnaient des frissons, ces oiseaux de malheur et de mort. Mais très vite il se souvenait de ses nuits passées dans des lieux improbables, dans des squares au milieu des clochards et d’une circulation intense. Oui, il avait de la chance de bénéficier de cet espace calme et désert au milieu de la nature.

Au terme d’une quinzaine de jours, Mahmud avait pris ses marques et s’était même créé de petits rituels comme de se prosterner régulièrement devant le buste de Balzac. Il sentait monter en lui, par capillarité, une aspiration profonde à la littérature, toute la littérature. Pendant la journée, il s’attelait à lire des ouvrages qu’il pêchait dans des boîtes à lire. Il était assidu à ses cours de français et progressait rapidement. Le reste du temps, il s’épuisait en démarches administratives pour tenter d’obtenir un titre de séjour.

Le soir, il découvrait en ouvrant la porte de sa chapelle les nombreuses petites attentions délicieuses qu’Esperance y avait semées en son absence : des bouquets de fleurs, des bougies, des châles colorés qui tapissaient désormais les murs etc.… et parfois un vêtement bien plié ou une petite statuette porte bonheur.

Lors d’une de ses promenades nocturnes, il aperçut un renard roux qui lui décocha un regard doré avant de disparaître dans les fourrés. Quand il en fit la description le lendemain à Kevin, celui-ci éclata de rire et s’exclama : « C’est donc toi le petit prince du cimetière du père Lachaise ! Et il lui tendit cérémonieusement une rose rouge. Mahmud dévora le livre, en appris par cœur certains passages, de même, plus tard, il s’attaqua à Balzac et à Proust, plus sensible, les premiers temps, à la musique et au rythme du texte qu’à sa compréhension. Au cimetière du père Lachaise, il était né à la littérature. Les pattes de mouches qui noircissaient son cahier le fascinaient. Elles frétillaient en liberté jusque dans les marges et les nombreuses scarifications qu’il infligeait au papier sculptait l’espace de la feuille, qui n’avait plus rien de blanc. Un exploit bleu blanc rouge. C’était sa fierté.

Kevin l’écoutait parler religieusement. Son jeune ami était un génie ! Sur un feuillet de son carnet il s’était essayé à de la poésie. Une petite chanson comme suit :

Boulevard des allongés
au cimetière du Père Lachaise
sous les vertes frondaisons
et les buissons odorants
les morts baillent aux corneilles
ils bombent leurs torses de pierre
arborant avec fierté leur curriculum vitae
Ils sont devenus terre et poussière
mais rêvent toujours d’immortalité
Ils peuvent compter sur Esperance, oiseau paradis.

Depuis Mahmud, ce jeune réfugié afghan, a pris un nom de plume. Son livre qui vient d’être publié retrace ses souvenirs d’exil et sa rencontre avec les grands hommes du Père Lachaise.

 

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  1. sylvie 19 septembre 2023 à 16 h 42 min-Répondre

    super texte !

  2. Michèle+Surre 20 septembre 2023 à 16 h 48 min-Répondre

    Quelle histoire !

  3. Gérard 21 septembre 2023 à 1 h 14 min-Répondre

    J’aime le renard !

  4. Perthame Catherine 17 novembre 2023 à 18 h 35 min-Répondre

    Les trois personnages, Mahmud, Kevin, Espérance, sont tous les trois les incarnations d’une belle humanité. Le texte donne envie d’espérer.

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