19 novembre 2023

Jacques et les jeunes du village pilote

par Frédérique A.

Partez au Cameroun en 1956, et assistez à la réunion où Jacques incite les jeunes qui l’écoutent comme un maître à prendre en main leur destin.

Le texte de Frédérique

Comme chaque mercredi, Jacques quitte rapidement son bureau, enfourche son scooter et se rend à Ekité. C’est à une vingtaine de kilomètres de Douala, mais la pluie complique souvent le trajet, rendant la piste boueuse et difficilement praticable. Malgré cela, il ne manquerait en aucun cas son rendez-vous avec les jeunes de la communauté du village-pilote de Saint-Antoine.

Durant le trajet, il se souvient de ses débuts à Calais dans la section de la J.O.C., la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, qui l’avait accueilli et formé. C’était passionnant, et maintenant si loin… depuis, il a beaucoup appris. Jacques sait ce qu’attendent les jeunes de lui : écoute et fermeté. Ne rien imposer, juste les guider sur le chemin qu’ils ont choisi. Mais quelle responsabilité !

Dès l’entrée du village, il les entend. La discussion doit être agitée, le ton monte, chacun semblant essayer de couvrir la voix de l’autre. A chaque fois, il imagine une bagarre. Pourtant, il devrait savoir que lorsqu’ils s’expriment dans leur langue, les jeunes parlent naturellement fort.

Quand il pénètre dans la grande case qui sert aux réunions du village, l’atmosphère est étouffante. L’humidité rend la chaleur insupportable, les moustiques s’agitent, l’odeur de la transpiration et de la poussière le prend à la gorge. Ce n’est pas grave, il finit par aimer ces odeurs musquées et épicées propres à l’Afrique.

Les jeunes se lèvent, le silence est immédiat, l’effet produit par sa seule présence. Ils sont une petite douzaine. Ils ont entre 18 et 30 ans et viennent de Douala, où ils ont tenté leur chance. Salaires de misère, chômage… leur espérance d’une vie meilleure s’était envolée, mais pas question de retourner dans leurs familles. L’idée leur était alors venue de mettre tout en commun pour créer une plantation et un village-pilote. Depuis leur plus jeune âge, ils savent travailler la terre. C’est un domaine qu’ils connaissent, ils ont juste besoin de s’aider mutuellement.

Après un simple bonsoir et un grand sourire de Jacques, l’assemblée s’assied. Ses gars, comme il les appelle, sont éreintés. Ils ont passé la journée à défricher ce vaste terrain sur lequel ils comptent s’établir. Mais il faut prendre le temps de discuter sur l’avancée des travaux et les difficultés rencontrées.

Ils attendent que Jacques ouvre la discussion. Mais ce dernier ne bouge pas. Ce moment de silence qui permet le retour au calme et à chacun de clarifier sa pensée. Comme d’habitude, au bout de trois minutes, Henri-Martin prend la parole. Il a 24 ans, c’est une force de la nature, sa voix porte, son expression est claire. Jacques l’a tout de suite repéré. C’est un leader et ses compagnons le suivent.

Il le laisse s’exprimer et monopolise toute son attention pour l’écouter. Il se garde de l’interrompre. Aujourd’hui, ils ont continué à tracer des layons pour délimiter des carrés à cultiver. Il y a 500 hectares à quadriller et ils n’en voient pas le bout. Quand l’administration les prendra-t-elle en considération et leur enverra-t-elle les aides nécessaires ? Les autres acquiescent en hochant la tête.

Jacques pose des questions : « il faudrait être plus précis, de quoi auriez-vous besoin ? Quel est le plus urgent ? ». Henri-Martin aimerait que ce Français, qu’ils considèrent comme leur frère, leur apporte la solution. Mais, depuis le temps, ils savent qu’il exigera d’eux qu’ils trouvent, par eux-mêmes, leur voie.

« De quoi manger plus d’un repas par jour », répond Henri Martin, « on aurait davantage de force pour travailler ». Le cœur de Jacques se serre. Aujourd’hui, il a apporté un repas pour tout le monde, les onze hommes, les six femmes et les tout-petits, ceux qui ne sont plus allaités. Mais il sait que cela ne résoudra pas leur problème. C’est juste de quoi ne plus éprouver la faim au moins ce jour-là, et de passer une agréable soirée.

Et puis, il leur parle de cette femme qui, de France, propose son aide. Jacques a reçu un mandat pour les rembourser des frais de timbres. Il incite donc les jeunes à lui écrire. Il n’y a qu’eux qui peuvent expliquer avec leurs mots leur situation. Par ailleurs, c’est important d’accorder du temps à quelqu’un qui s’intéresse à eux.

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