16 septembre 2024

Héritages

par Maxime D.

Maman est morte… thème universel et éternel. Il se renouvelle dans le temps suspendu, face à la fenêtre ouverte sur le concert des oiseaux, alors que le clan dort encore…

Le texte de Maxime D.

La maison était encore endormie, lourde de nos cauchemars. L’accident de la route ne lui avait laissé aucune chance : maman était morte la semaine dernière. Dans la hâte, la famille s’était réunie dans ce hameau du Lot, reculé, quasi inaccessible. Le clan avait réagi unanimement, de manière coordonnée, solidaire, fusionnelle. Compact, unicellulaire, il avait fait front dans le froid de l’église face auquel la chaleur de l’amour et du souvenir n’avait désespéramment pas pu peser. Chaque instant, la lutte contre l’infortune était vivace et déchainée. Pas de libération possible, elle ne pouvait pas mourir. Il nous faudra des années pour comprendre que seule l’acceptation nous libérerait. Nous étions à présent divisés, séparés dans nos geôles, chacun dans sa chambre, à nous débattre face à l’incompréhensible. La protection du clan n’opérait plus. J’étais seul avec maman.

Aidé par l’apprêté de cette nuit nouvelle – maman avait été enterrée la veille – je n’avais presque pas dormi et me réveillais tôt. Sans effort, je devançais le jour, comme je m’appliquais régulièrement à le faire. Ce matin, cette discipline avait une saveur particulière. Au milieu du fracas, elle constituait un repère familier, un guide, un jaillissement de l’enfance. Petit, alors que maman et Louis dormaient, je suivais mon père qui s’échappait photographier la campagne nous servant d’abris. J’y capturais des moments de complicité rares, durant lesquels mon père et moi nous rencontrions. La mise au point était régulièrement parfaite. J’y tissais aussi, dès mes premières années, un lien intime, quasi mystique, avec la nature lotoise.

Sorti du lit, j’avançais le plus silencieusement possible dans le salon. Je ne percevais avec soulagement la présence de personne. Envahi par la tristesse du clan, j’avais été, ces derniers jours, bouleversé par une tristesse brouillonne. J’aspirais à l’apaisement d’une peine claire, précise, profonde. Maman me manquait mais elle n’était pas là.

J’ouvris la fenêtre. Je fus envouté par les bruits que je faisais entrer. Assis sur le recul confortable de son rebord, les mains sur la pierre et les pieds dans le vide, j’étais étourdi par un vertige. Il ne s’agissait pas d’altitude, il était possible de rentrer dans la maison en escaladant la fenêtre qui nous séparait du jardin et des plaines, horizon de mon enfance. Non, ça n’était pas un vertige mais une élévation.

Mes oreilles étaient colonisées par des sons connus, des bruissements naturels, tapis dans cette nuit évanescente qui tardait à se dérober. Les oiseaux comme à leur habitude avaient pris de l’avance et annonçaient le jour. Il s’agissait seulement des plus matinaux, préposés au réveil. Leur témérité me transperçait. La pierre froide, qui datait du début du 18ième siècle, dont je sentais la présence puissante sous mes mains, ne pouvait empêcher, malgré tous ses efforts, mon envol. Le léger vent qui effleurait mes pieds me transportait d’un son à l’autre. Les échos vifs et virtuoses des merles ne parvenaient pas à couvrir le son mélodieux, quoiqu’encore un peu endormi, des mésanges. Un temps suspendu s’offrait à moi. Durant ces quelques minutes, je m’égarais, retrouvant dans la plus grande douceur, l’attention portée par ma mère à tout qui pour la plupart n’était rien. Ces oiseaux si fragiles, si petits, si communs étaient les interprètes de son souvenir. Ils furent les premiers notaires d’un héritage à saisir et à faire vivre. Maman était partie mais elle était là. J’avais créé les conditions d’un hommage mais ils me l’avaient imposé. Pour la première fois depuis cet arrachement, et pour le reste de ma vie, je la savais en moi, au creux de mes oreilles, non loin de ma poitrine, mise en mouvement par le rythme de ma respiration.

L’insignifiance de la question avait scellé l’évanescence des signes : ça va Pierre ? Julie s’était réveillée et avait délicatement posé sa main endormie dans ma nuque. La tristesse limpide que j’attendais me saisit et m’arracha aux oiseaux. Sourd et aveugle, je fondis en larmes dans ses bras.

 

Références

  • Thème du stage au cours duquel a été écrit ce texte : Ecrire la joie 
  • Proposition d’écriture : Une musique, un son, suscite une joie personnelle. Quelle musique ? Quel son ? En quelle circonstance ?
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