9 juillet 2024

Été 1907 – Paris

par Tavana K.

Bikou découvre le Jardin des Plantes. Son parcours au milieu des arbres et des fleurs la transporte jusqu’à Bombay et ses jardins suspendus au bord de la mer d’Arabie.

Le texte de Tavana K.

Malgré le peu de luminosité de sa petite chambre, Bikou sait que le soleil brille au dehors. Il brille pour d’autres mais ne parvient pas à la trouver elle dans sa petite chambre du 4ème étage orientée plein nord. L’étroitesse de la rue encadrée de hauts bâtiments fait monter les bruits de la vie qui courent le long des pavés. Bikou descend et retrouve la vie agitée de Paris. Sans but précis, elle se laisse guider par son instinct. Ce quartier de la Mouff, comme le lui a dit la logeuse avec son accent parisien, ressemble à un village comparé au quartier des Champs. Elle découvre l’atmosphère de ce quartier avec ses rues pavées. Elle longe la petite église Saint-Médard, traverse une large rue puis retrouve à nouveau des ruelles, plus étroites et plus fraîches. Qu’il fait bon flâner ici ! La voici arrivée devant un grand bâtiment, elle s’avance un peu plus bas et passe par un large portail en fer forgé qui ouvre sur un jardin. Un panneau annonce en lettres dorées « Jardin des plantes ».

– Oui, un jardin. C’est bien un jardin. Que pourrait-il y avoir d’autre que des plantes dans un jardin d’ailleurs ? se dit Bikou.

Elle s’engage dans les allées de gravier jetés sur la terre blanchie par la sécheresse. Elle ralentit le pas ; des allées à perte de vue quadrillent une vaste esplanade encadrée elle-même d’arbres, certains centenaires, qui dominent des buissons plus touffus sous lesquels se réfugient les oiseaux pour trouver un peu de fraîcheur ou tenter de dénicher les insectes qui pullulent à cette saison. Des acacias, des cèdres, des marronniers, et au loin, des rangées de platanes. Bikou avait déjà vu ces arbres ailleurs, mais leur cohabitation savamment agencée compose un tableau bucolique des plus reposant.

Et toutes ces fleurs ! Sur les parterres, des rosiers, rouge, rose vif, rose poudré, orange, toutes les couleurs des sentiments étaient représentées sur cette nature vivante. Sur la gauche, en contrebas de l’arrière du bâtiment, une allée grimpe et pénètre dans un espace plus ombragé dont on ne pouvait deviner l’issue. Bikou revient sur ses pas et, relevant légèrement d’une main sa jupe, s’engage dans la montée. La fine terre des allées dépose des nuages poussiéreux sur l’ourlet du tissu gris. Ses souliers dont on ne devine plus que les lacets se fondent eux aussi dans le décor. Elle s’arrête à mi-chemin, heureuse de trouver un banc de pierre qui enlace un cèdre majestueux dont les branches offrent une fraîcheur bienvenue au promeneur. Adossée au tronc, Bikou tente de percevoir la force tranquille qui se dégage du géant. La vue depuis ce poste d’observation invite à la rêverie. La nostalgie s’empare d’elle et lui serre la gorge. Elle ferme les yeux comme pour ne pas donner prise aux pensées qui l’assaillent.

L’éparpillement des pétales délicatement déposés par le vent sur l’herbe verte offre aux regards une représentation semblable à un tableau. Les petites filles plissent les yeux, imaginent la vie des marins dont les embarcations voguent à la surface des eaux noires, puis reprennent leurs jeux au milieu des allées du jardin qui domine la mer d’Arabie. Elles jouent à cache-cache, sautent à la corde, et cueillent les œillets pour confectionner des colliers orange et jaune. En contrebas, on devine, au vol circulaire des vautours, la présence de la tour du silence. Bikou n’y était jamais allée mais elle avait entendu les grands en parler car c’est là que le corps du vieil oncle Feroz avait été déposé pour y être décharné par les vautours. Elle en frissonne une fraction de seconde mais reprend vite le fil de sa vie de petite fille pour continuer à confectionner son collier de fleurs. Les enfants ont cette capacité de changer rapidement de pensée et de passer de la mort à la vie, des larmes au rire.

Les fleurs, les oiseaux les papillons, tout vous invite à la vie, la vie présente. Le passé n’est plus et le futur n’existe pas.

Bikou retient sa respiration comme pour retenir le présent. Celui du collier de fleurs qui déjà se flétrit. Le vent qui se lève secoue les branches du cèdre et fait frémir les buissons. Une mèche de cheveux échappée de son chignon vient caresser sa joue et lui fait ouvrir les yeux sur le futur de l’enfant qu’elle était, insouciante et souriante, celle qui jouait dans les allées des jardins de Bombay. Elle est à Paris.

Références

  • Thème de l’atelier au cours duquel a été écrit ce texte : la relation au jardin.
  • Proposition d’écriture : Une promenade dans un jardin, exceptionnel ou ordinaire, réel ou rêvé. Au coeur de cet environnement particulier d’arbres et de plantes, des sensations s’éveillent, des souvenirs reviennent, des événements – éventuellement – se produisent, microscopiques ou majeurs… Faites-nous partager…
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  1. Legrand catherine 10 juillet 2024 à 16 h 26 min-Répondre

    Bien aimé ton texte . Et la phrase : le futur de l’enfant qu’elle était…. qui fait resurgir l’enfance et la prolonge . Et ces innombrables colliers de fleurs qui colorent toutes les cérémonies en Inde . Voyage voyage bravo

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