16 juin 2023

Du cimetière du Père Lachaise

par Michèle S.

Écoutez le duc de Morny, à l’étroit dans son monument funéraire, évoquer avec nostalgie son château de Nades, ses parties de chasse et ses conquêtes féminines !

Le texte de Michèle

Voilà plus de cent cinquante ans que l’on m’a assigné cette triste demeure au Père Lachaise. Je n’ai pas eu le loisir de la choisir comme d’autres propriétés. Dessinée par Viollet-Le -Duc à la demande de mon demi-frère, je ne m’y suis pas habitué, même si le monument respecte les standards de l’époque dus à mon rang. J’habite à un virage, point stratégique, certes, où se télescopent les potins du cimetière, ce qui ne serait pas pour me déplaire en temps ordinaire. Mais, mon château de Nades dans l’Allier me manque. Pourquoi celui -là ? Allez savoir … 

Pas le plus somptueux, mais le plus caché, peut-être, ou le plus improbable. Au bord des Gorges de la Sioule avec vue sur les volcans d’Auvergne, il était, car lui aussi a trépassé, d’un grand modernisme : salles de bains, chauffage central à tous les étages. Avec mes gens, nous avions implanté des espèces d’arbres et de plantes inconnues du terroir. Les gardes-chasse avaient rendu les forêts fort giboyeuses. Fanny Le Horn, ma riche maîtresse, qui avait soutenu mon ascension financière en investissant dans les sucreries de Bourdon le long de la plaine de La Limagne, arrivait de la capitale par le chemin de fer qui nous appartenait. Puis, elle faisait route avec sa suite dans des calèches de Vichy jusqu’à Nades, creux de verdure au cœur du pays Bourbon qui nous rendait heureux. Au centre du village, deux manoirs bordaient l’église romane. Le premier – une longère rurale – était la demeure du garde-chasse principal qui jouait aussi le rôle d’intendant. Le second manoir plus imposant avait appartenu à Madame de Lafayette. Elle y avait écrit « La Princesse de Clèves ». Cette élégante demeure était destinée aux invités de second ordre, ceux qui ne résidaient pas au château que j’avais fait construire.

En automne, les parties de chasse étaient sportives et coquines. Le métayer, aussi éleveur de chevaux, fournissait aux amazones de belles montures pour se perdre dans les bois. Fanny, qui fut longtemps ma maîtresse en titre, tolérait mes coups de cœur pour les cocottes et demi-mondaines qui déferlaient avec mes amis chasseurs dans la douceur du bocage bourbonnais. Elle jouait les Marie-Antoinette dans la ferme modèle attachée aux dépendances du château.  Envoyé à Saint-Pétersbourg comme ambassadeur, j’ai rencontré une très jeune princesse, Sophie que j’ai épousée. De retour en France, Fanny Le Horn ne supporta pas mon mariage, et, d’associée elle devint ma première créancière. Sophie qui s’ennuyait de son pays natal, la Grande Russie, joua à son tour la fermière à Nades.

J’affectionnais cette terre, au point de me présenter à la députation du Puy de Dôme. Deauville et son « tout Paris » me lassait souvent. Lorsque l’incognito s’imposait, je m’exilais sur mes terres bourbonnaises. Moi, Duc de Morny, bâtard royal, avais-je coutume de lancer sous forme de pirouette à ceux qui me méprisaient. « Dans ma lignée, ajoutais-je souvent, nous sommes bâtards de mère en fils depuis trois générations. Je suis arrière-petit-fils de roi, petit-fils d’évêque, fils de reine et frère d’empereur ». 

 Sous le Second Empire, j’avais acquis fortune et pouvoir, j’étais envié et détesté. Victor Hugo me pensait opportuniste, frivole et laid ! Lui, le pur ! Toutefois, il reconnaissait mes belles manières et me concédait spiritualité et gaieté !

  N’était-ce pas là, l’essentiel pour le dandy que j’étais ?

Et me voici humilié sous cette terre grise et froide dans un quartier excentré sans le moindre charme ! Choix autoritaire d’un frère de sang sans humour et sans goût !

Au moins si le Grand Jacques, Offenbach bien sûr, était là, on pourrait rire encore ! Mais lui, « le Petit Mozart des Champs Élysées » était au cimetière Montmartre avec sûrement « la Belle Hélène » et les meilleurs artistes de notre époque. Il doit être entouré, comme autrefois, des danseuses du Moulin -Rouge ! Et moi, je croupis ici en face de petits barons, Hausmann et Rothschild, les plus riches du cimetière, qui avaient acquis leurs titres en faisant fortune…pas des gens de qualité.

Quelle indignité …

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  1. Legrand 23 septembre 2023 à 10 h 27 min-Répondre

    Historiquement votre !

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